En décembre dernier, je vous annonçais en
grande pompe que je retournais sur les bancs d'école pour étudier en
secrétariat. Mon retour aux études ne s'était pas fait sans heurts, mais les
premiers mois s'étaient somme toute bien déroulés. Par contre, lorsque l'été
est arrivé, les choses se sont mises à changer et me rendre à mes cours est
devenu une tâche de plus en plus ardue.
J'étais fatiguée, épuisée, je n'arrivais
pas à me concentrer et la situation me déprimait beaucoup. Mes études me
grugeaient le peu d'énergie dont je dispose depuis mon cancer et les autres
activités de ma vie devenaient tout aussi pénibles à réaliser. Je redoutais les
soupers en familles, les tâches ménagères, les rencontres entre amis, les
voyages et tout le reste. J'étais si fatiguée que plus rien ne parvenait à me
procurer du plaisir. Tout était une corvée...
Au mois de septembre, n'en pouvant plus,
j'ai décidé d'arrêter mes cours. Ayant un billet médical d'un mois en main,
j'ai pu prendre une pause tout en demeurant inscrite au programme de
secrétariat. Les semaines ont passé, ma fatigue s'est un peu dissipée et mon
sourire est revenu. Je me suis même exclamée à quelques reprises :
"Heille, je suis heureuse!!!", une phrase que je n'avais pas prononcée
depuis belle lurette.
Et pendant ces quelques semaines, j'ai
travaillé sur moi. J'ai réfléchi et je me suis observée. J'ai regardé en
arrière et je n'ai pas aimé ce que j'ai vu. Depuis mon cancer, mon retour à la
vie active a toujours été une préoccupation de premier ordre. Je sentais que je
me devais de retourner travailler, que je devais gagner de l'argent, que je
devais être productive.
Mais au fond de moi, une petite voix
tentait de se faire entendre. Elle me murmurait qu'avec toute la chimio reçue,
la radio, la greffe de moelle osseuse, la ménopause, les poumons à moitié
brûlés et le système immunitaire en mauvais état, il était insensé de penser à
travailler. J'ai cependant la tête dure et pendant tout ce temps, j'ai forcé
cette petite voix à se taire. Je l'ai étouffée, et c'est là qu'elle s'est mise
à crier.
Je n'ai pas eu d'autre choix que de
l'écouter et j'ai enfin compris qu'elle avait raison. L'avouer n'est pas facile
et le dire l'est encore moins, mais je prends mon courage à deux mains :
"Je ne retournerai pas à l'école et je
ne retournerai pas travailler"
Voilà, c'est dit. Ça soulage, vous n'avez
pas idée! En fait, je vous le dis à vous aujourd'hui, mais cette affirmation,
je la répète à qui veut bien l'entendre depuis neuf jours. Par contre,
j'hésitais à sortir de ma coquille sur mon blogue. Décider de rester à la
maison n'est pas une décision facile à prendre et la peur du jugement me suit
comme mon ombre.
Les gens vont penser que je suis
paresseuse. Ils vont dire que je me laisse aller, que je me fais vivre. Ils
diront que ça n’a pas d’allure de rester sans rien faire à un si jeune âge, que
c’est du gaspillage.
Notre société met beaucoup l'accent sur le
fait que tout individu DOIT participer à la société, qu'il doit être actif et
productif. Alors quand on n'arrive pas à atteindre ces exigences, on se sent
inévitablement incompétent... Du moins, c'est ainsi que je le vis, pour le
moment.
Pourtant, c’est cette même société qui me
confirme que mon cas est particulier en me versant des rentes d’invalidité.
Oui, effectivement, vous n’êtes peut-être pas au courant, mais on m’a déclarée
invalide il y a six ans. Mon oncologue me le répète d’ailleurs à chacune de mes
visites : ton cas est spécial, tu es spéciale. Peut-être suis-je la seule
à ne pas vouloir l’accepter?
Mais sachez que malgré ces quelques remords
de conscience passagers, je suis tout à fait satisfaite de ma décision. Je suis
bien, mais surtout, je suis heureuse. J'ai l'impression d'être enfin revenue à
la vie. Le goût de cuisiner, de recevoir, de jacasser et de gâter les gens
autour de moi m'est enfin revenu. Certes, mon niveau d'énergie est toujours le
même (il est assez bas merci), mais je peux enfin mettre mes énergies où j'en
ai envie.
Et si je suis fatiguée, et bien je me
repose, tout simplement. Et si je suis malade, je me soigne. Et si je n'arrive
pas à me concentrer, je profite de l'occasion pour pratiquer des activités qui
ne requièrent pas d'attention. J'écoute mon corps plutôt que d'essayer de le
forcer à performer au-delà de ses limites. Puisqu'il s'agit bien de cela, les
maudites limites... J'ai des limites et je dois les accepter. Ce n'est pas
facile, croyez-moi, mais je pense sincèrement que je suis sur la bonne voie.
Alors ce week-end, Chéri et moi allons
prendre une belle boîte dans laquelle nous mettrons mes livres d'école. Ayant
été au cégep, à l'université et dernièrement au professionnel pour mon DEP en
secrétariat, j'ai accumulé un bon nombre de bouquins scolaires. Il est temps de
tourner la page et de laisser l'étudiante passer à autre chose. Mais justement,
si je ne suis ni étudiante, ni travailleuse, qui suis-je?